Relire la révolution by Jean-Claude MILNER

Auteur:Jean-Claude MILNER
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions Verdier
Publié: 2016-07-14T16:00:00+00:00

3. La foule et la guillotine

Entre les massacres de septembre 1792 et la Terreur de septembre 1793, la différence est si grande qu’en vérité la seconde a été mise à l’ordre du jour pour empêcher la répétition des premiers. Aux yeux des Conventionnels, rien n’est plus ennemi de la souveraineté du peuple que la tyrannie de la foule. Cette conviction était d’autant plus ancrée en eux qu’elle se fondait sur une réalité objective ; les représentations nationales – Constituante, Législative, Convention – ont eu face à elles une instance locale : la Commune insurrectionnelle de Paris. Celle-ci, née après le 10 août 1792, se réclame des sans-culottes ; ce sont artisans et ouvriers, qui ne possèdent rien hormis leur travail et leurs ateliers ; ce sont aussi des gens de plume qui n’ont trouvé ni employeur ni mécène. La bourgeoisie parisienne, composée de propriétaires, en est exclue. La seule et unique force de la Commune résidait en ceci : sa capacité à susciter des mouvements de foule. La représentation nationale les redoute, parce qu’ils entravent sa liberté de décision, mais il peut arriver qu’elle en ait besoin ; la Commune se méfie des représentants nationaux, mais elle veut obtenir des lois ; un pouvoir législatif lui est donc nécessaire. De 1792 à 1794, l’histoire intérieure de la révolution est dominée par les tractations entre ces deux versions du pouvoir révolutionnaire, les Jacobins se plaçant en position de médiateurs : représentants des sans-culottes auprès du législatif ; représentants du législatif auprès des sans-culottes. Une question l’emporte sur les autres : qui doit diriger la lutte contre les contre-révolutionnaires ?

Les doutes de la Commune portaient précisément sur ce point. Les représentants nationaux, majoritairement bourgeois et provinciaux, lui paraissaient devoir manquer d’audace. Pour cette raison, elle avait pris l’initiative en septembre 1792, profitant de la période des élections : l’Assemblée législative touchait à sa fin ; la Convention n’était pas encore en place. Les massacres se déroulent du 2 au 6, pendant le scrutin. Installée au début d’octobre, la Convention ne peut les condamner ouvertement, mais elle demande un rapport détaillé et entend bien empêcher qu’ils ne reprennent : la foule parisienne ne saurait incarner à elle seule la puissance du peuple. Mais entre-temps, la lutte entre Girondins et Montagnards prime au sein de l’Assemblée. Elle prend un tour dramatique en avril 1793. Les premiers semblant sur le point de l’emporter, les seconds s’allient à la Commune pour renverser la situation ; sous la pression de l’émeute, la Convention cède le 2 juin et exclut les députés girondins. Ils sont jugés et exécutés en octobre, mais leur défaite est acquise depuis l’été. En septembre, la décision tombe : la Terreur est mise à l’ordre du jour. On est le 5 septembre, jour anniversaire des massacres.

La Commune peut difficilement protester contre ce qui semble satisfaire ses demandes, mais en réalité, elle est mise hors jeu. La Convention et, à travers elle, le Comité de salut public ont pris le contrôle. Tout au long du processus, Robespierre a été à la manœuvre.

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